Trois mois sans smartphone

Je me suis demandé à quel point j’étais acro à mon smartphone. En 2012, je me suis posé la même question avec la cigarette, et j’ai arrêté de fumer d’un coup, pour voir. J’ai tenu cinq jours. En 2015, j’ai décidé de me passer de mon smartphone, pour voir. Cette fois, ça a duré trois mois, et c’était suffisamment intéressant pour me donner envie d’écrire ce texte.

Je mène une vie très connectée. Je suis développeur, après avoir été journaliste web durant 4 ans. Une consommation massive d’information en ligne, beaucoup de jeux vidéo, une connexion permanente et assumée depuis des années. J’ai donc un rapport à mon téléphone assez … intense. Cela me prend beaucoup de temps: 4 ou 5 heures par jour, dont au minimum une heure sur 9gag avant de m’endormir.

En février, j’ai été rendre à un ami le Samsung S4 qu’il me prêtait depuis plusieurs mois. J’ai décidé de ne pas racheter immédiatement un smartphone, mais plutôt un nokia basique, pour l’expérience (et un peu pour la nostalgie). Je ne me suis pas déconnecté: Internet était toujours présent au bureau et sur mon ordinateur perso. Mais plus dans ma poche.

Réflexes à perdre

Tout le malaise des débuts tient en une scène, qui s’est répétée des dizaines de fois.

Mon cerveau s’ennuie une seconde,
ma main va chercher mon téléphone,
mon regard se pose dessus,
déception,
retour à l’activité précédente.

C’est un réflexe bien ancré. J’ai eu besoin de deux semaines pour perdre totalement cette habitude de sortir mon téléphone à chaque instant creux, à chaque moment d’attente. Ce n’est pas seulement internet et tous ses contacts. C’est une console de jeu, une télévision, une liseuse électronique. Du divertissement continu, l’assurance de ne jamais s’ennuyer.

Le côté pratique ne m’a pas manqué. Je me suis bien perdu quelques fois, j’ai ressorti un vieux plan. Ecrire un sms avec un clavier à neuf touches, c’est long. J’ai redécouvert le mode T9. J’ai dis à mes amis de me contacter plutôt par texto.

Techniquement, il y a peu de bons côtés, mais il sont agréables: on s’habitue vite à charger son téléphone une fois par semaine. On n’a plus un objet précieux et fragile sur soi, on peut l’oublier sans que ce soit un drame.

Le retour de l’ennui

Ce qui a le plus changé, ce sont mes trajets en métro, qui m’occupent deux heures par jour. J’ai commencé à garder le regard dans le vide pour me réveiller tranquillement. Parfois j’ai dormi, j’ai lu beaucoup de journaux, et cinq romans.

J’y ai pris goût. C’est une période où j’ai beaucoup lu, notamment cet article. L’auteur affirme que nos cerveaux sont épuisés, qu’on leur en demande trop. J’ai eu la sensation très nette de me reposer. Dans une sorte de semi-déconnexion, avec au moins 8 heures d’internet par jour, mais pas dans le métro.

A force de regarder par la fenêtre, je me suis rendu compte que la rêverie avait disparu de ma vie. Cette masse de divertissement avait réussi à remplir tout l’espace disponible. Je suis persuadé que cet espace libre est celui qui permet aux idées d’arriver. Un cerveau sollicité en permanence n’a plus l’énergie nécessaire pour l’imagination.

Mon rapport au temps a changé. Regarder moins son écran, c’est aussi moins regarder l’heure. J’ai eu envie d’être moins productif, de relâcher le rythme. Ça m’a fait du bien.

Reconnecté

Cette démarche a toujours eu un point faible : mon métier. Je suis développeur web, je passe mes journées à construire des applications mobiles et des sites utilisables sur des smartphones. Il faut tester ces programmes, mais le problème principal, c’est la veille. Je dois rester à jour sur les dernières applications. Professionnellement, j’ai besoin d’un smartphone.

J’en ai donc racheté un. 24 heures après l’avoir déballé, mes habitudes étaient revenues. Toutes les applis du téléphone précédent sont facilement accessible dans l’appstore; le retour est rapide.

Je fais tout pour être plus modéré dans mon utilisation. Je suis parti en vacance avec mon vieux Nokia, et j’ai pris le temps de commencer à écrire ce texte. J’essaye de garder le rythme de lecture. Je n’ai pas réinstallé 9gag. Prendre de bonnes habitudes, comme pour le reste. Si on peut ne pas boire d’alcool le matin, on peut certainement ne pas aller se coucher avec son smartphone.

Mes trajets de métro ont durablement changés. Je continue à comater le matin, et je lis plus. Je regarde plus les gens autour de moi.

La surprise de cette période, c’est que je n’ai pas eu l’impression de perdre quelque chose d’important. Je l’ai vécu comme si j’étais en vacances, et ça m’a donné envie de recommencer.

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